La réforme de la politique de subvention ne signifie d’aucune manière une levée des subventions pour ceux qui y sont éligibles, mais une nouvelle philosophie visant à cibler directement les familles dans le besoin. Cette réforme de la politique des subventions s’inscrit dans le cadre des réformes structurelles socioéconomiques globales qui seront concrétisées progressivement durant les années à venir.
Le gouvernement, via son nouveau plan de réforme 2022-2024, se prépare à la révision de la politique des subventions en vue de cibler les catégories sociales qui en ont le plus besoin, car il estime qu’il n’est pas normal que les catégories aisées acquièrent les produits subventionnés au même prix que les citoyens à faible revenu.
Une révision tant attendue qui vise à mettre la lumière sur les distorsions liées aux subventions et sur les réformes à introduire pour réduire le coût budgétaire des subventions, garantir la protection et la justice sociale. Dans la loi de finances 2022, l’exécutif fait montre d’une volonté de passer d’un système de subventions généralisées vers un système de ciblage en faveur des ménages nécessiteux.
Le paradoxe
Certains opérateurs économiques considèrent que l’application d’un nouveau dispositif de ciblage des subventions sur le terrain est difficile, mais il n’en demeure pas moins que la réforme du système est inévitable. Le retour également à la vérité des prix, accompagné par un transfert monétaire direct aux personnes et catégories sociales éligibles, est impératif, mais il doit se faire, sans thérapie de choc, pour éviter des résistances, voire des contestations violentes.
Au début, le concept de la subvention a été introduit pour assurer une vie digne aux citoyens les plus démunis. Ainsi, l’Etat a engagé des dépenses pour protéger la population la plus défavorisée des fluctuations des prix et diminuer, de la sorte, les inégalités entre les classes sociales. Mais, paradoxalement, cette politique assure aujourd’hui un rôle complètement inverse. Le système de subvention mis en place aujourd’hui favorise plus ceux qui consomment le plus. Ainsi, ce sont les plus riches, les industries, les hôtels etc. qui profitent le plus du système.
Levée des subventions, quelles recommandations ?
Au niveau international, plusieurs études ont montré que les subventions représentent un lourd fardeau pour les finances publiques, et ce, surtout pour les pays en voie de développement. De ce fait, les gouvernements de plusieurs pays n’ont cessé de faire des tentatives de réforme des aides depuis plusieurs années. Cependant, un certain nombre de ces tentatives de réformes s’est heurté à une résistance du public, qui a parfois conduit à leur annulation. A ce niveau, deux méthodes ont été adoptées, soit une politique qualifiée de thérapie de choc, caractérisée par un passage rapide et sans étapes intermédiaires à la vérité des prix, soit une politique plus gradualiste qui consiste à procéder par étapes. En Tunisie, la politique gradualiste semble la plus adaptée.
Depuis 2011, «les dépenses publiques réservées aux subventions aux produits alimentaires ont augmenté en termes nominaux, les prix administrés de plusieurs produits de première nécessité n’ayant pas progressé au même rythme que celui de l’inflation. «Le programme de subventions aux produits alimentaires a été réformé dans les années 90 pour contenir les coûts par l’adoption d’une approche dite “d’auto-ciblage’’, qui consiste à ne maintenir les subventions que pour les produits de qualité moindre, essentiellement consommés par les ménages pauvres, donnant ainsi lieu à une diminution des dépenses totales en subventions de 4% du PIB en 1984 à 2% du PIB en 1993», selon une étude de la Banque mondiale. A l’heure actuelle, la majeure partie des dépenses allouées aux subventions aux produits alimentaires est réservée aux céréales et produits céréaliers, comme la semoule, la farine, les pâtes, le gros pain, le couscous et les huiles végétales. Le lait est également subventionné, mais à un taux moins élevé. Les produits alimentaires les plus fortement subventionnés sont la semoule, l’huile végétale et le pain, avec des niveaux de recouvrement des coûts de l’ordre de 38%, 46% et 50%, respectivement.
Les plus grandes dépenses en subventions aux produits alimentaires, notamment le pain, la semoule et les huiles végétales sont à ciblage neutre ou légèrement progressif.
Toutefois, «les subventions continuent d’être substantielles même pour des produits comme la baguette, le sucre, le couscous, la farine ou encore le lait, consommés en grandes quantités par les ménages les plus aisés. Les produits alimentaires subventionnés comptent pour près de 4,4% des dépenses de consommation des ménages et de 8,3% des dépenses du quintile le plus pauvre», selon la même source.
Economie de 1,2 milliard de dinars
Les simulations de la Banque mondiale montrent que «la réforme des subventions aux produits énergétiques et alimentaires doit être pensée produit par produit et qu’elle pourrait permettre de réaliser d’importantes économies budgétaires, sous réserve de s’accompagner d’une expansion ciblée de la couverture des transferts monétaires de sorte à compenser, intégralement et efficacement, les ménages les plus vulnérable».
La levée des subventions aux produits alimentaires, qui devrait permettre de réaliser des économies de l’ordre de 1,2 milliard de dinars (1,1% du PIB en 2018), aurait des impacts négatifs sur le bien-être des plus pauvres, notamment « si aucune mesure compensatoire ne venait à être mise en place. Les taux de pauvreté croîtraient de près de 1,7 point de pourcentage, essentiellement en raison de la levée des subventions au pain et à la semoule. Si on ne lève que les subventions les plus régressives, allant au sucre, au lait, à la baguette, au couscous et à la farine, l’impact sur les taux de pauvreté serait plus contenu. L’Etat pourrait alors réaliser des économies de l’ordre de 273 millions de dinars (0,3% du PIB) et les taux de pauvreté n’augmenteraient que de 0,4 point de pourcentage».
A l’évidence, la réforme des subventions doit être introduite de manière progressive, de sorte à minimiser l’impact qu’elles peuvent avoir sur les consommateurs. «La réforme des subventions doit être accompagnée de campagnes de communication à visée large et à messages clairs sur la nature régressive de certaines subventions, sur le gaspillage, sur l’impact sur la santé pouvant résulter d’une tarification inadéquate et de la surconsommation, ainsi que de compromis entre subventions, d’une part, et dépenses plus inclusives et favorables à la croissance et à la création d’emploi, d’autre part».